« Il n'y a pas de
Belges, mais des Wallons et des Flamands », écrivait-on déjà en 1912
(1). Certains refusent encore de le croire. Force est néanmoins de
constater que ce point de vue anticipait l’évolution de la Belgique,
obligée de se désunir pour prolonger son existence.
Aujourd’hui, dans une Europe en voie d’intégration, la diversité des
langues, en déplaçant les frontières, impose une mise à jour des repères
culturels et des référents citoyens. Traversé par ce qui ressemble à un
mur linguistique au milieu d’un grand ensemble européen, l’Etat belge
est-il autre chose que la survivance d’une autre époque ?
Au nord de ce mur linguistique, la nation flamande a pris son envol et
aspire à plus de reconnaissance internationale. Avec ou sans la
Belgique, elle entend faire valoir son intérêt. Un nouvel
affaiblissement de l’Etat fédéral est déjà sur le feu, la Wallonie étant
regardée comme un boulet. La tentation de l’indépendance fait monter la
pression.
Ainsi, de son côté, la Wallonie est appelée à poursuivre son chemin
vers toujours plus d’autonomie. Le cadre où se déploie son action
collective est de moins en moins belge. En Wallonie, pourtant, le
changement fait peur et conduit à privilégier l’appartenance à la
Belgique, au mépris des réalités mais surtout de la Wallonie elle-même,
à peine envisagée comme un sous-produit de l’identité belge.
Etonnamment, la simple intention d’approfondir le sentiment wallon
provoque sarcasmes et indignation. Crispé sur une identité belge
fabriquée au XIXe siècle, on s’interdit de soulever la question de
l’identité wallonne. Un tel refoulement contribue à plomber l’image
d’une région qui sert trop souvent de repoussoir à la Flandre.
La Wallonie mérite mieux que ce déni assassin, entretenu souvent par
celles et ceux qui ont la responsabilité de lui donner une existence.
Combien d’élus wallons se sentent-ils de Wallonie ? Il est vrai que la
fierté wallonne se décline en sous-régionalismes hérités de l’histoire,
mais que dire alors de la Belgique, pour laquelle on rêve encore
d’unité, sans craindre apparemment le ridicule ?
L’identité latine ou même française de la Wallonie est moins
difficile à trouver. L’histoire enseigne que « sans aucune contrainte,
de leur propre volonté, les Wallons sont entrés dans l’orbite de Paris
et, depuis sept siècles, avec une fidélité qui ne s’est jamais démentie,
n’ont cessé de participer à la culture française… » (2)
Evidemment, l’appartenance à la Belgique, en dépit de ses fractures, a
conditionné la mémoire et l’imaginaire des Wallons. Leur identité belge
est un fait historique, un héritage, il ne s’agit pas de renier un passé
dont on peut, légitimement, tirer des motifs de fierté. Mais faut-il
rappeler ce que la création de la Belgique, en 1830, devait au contexte
européen de l’époque ?
Quoi qu’il en soit, l’amalgame entre la Wallonie et la Flandre a eu les
effets d’une cohabitation non désirée. Aux mains d’une bourgeoisie
exclusivement francophone, la Belgique a provoqué le réveil de la
Flandre qui, aussitôt, a défendu son intégrité culturelle. C’était
l’époque où l’activité du sillon Sambre-et-Meuse élevait ce pays au rang
de puissance industrielle et où les luttes ouvrières, en Wallonie,
allaient conduire à l’adoption du suffrage universel, permettant aux
nouveaux citoyens flamands, majoritaires, d’investir l’Etat belge et
de le réduire à leurs intérêts.
Une véritable politique de colonisation économique s’est mise en place
au profit de l’axe Bruxelles-Anvers (3), tandis que naissait déjà un
mouvement pour l’indépendance de la Flandre. Des voix se sont élevées en
Wallonie pour dénoncer la flamandisation de l’Etat belge et réclamer, là
aussi, une séparation administrative. La société wallonne avait un
dynamisme et des ressources qu’elle n’a pas entièrement perdus.
Hélas, le fédéralisme est venu trop tard pour la Wallonie. Il a permis
d’éviter le pire mais, sans la maîtrise de son enseignement et de sa
politique culturelle, facteurs de cohésion, la Wallonie a raté son
envol. Aujourd’hui, culpabilisée, appauvrie, insultée, elle s’acharne à
défendre un pays qui ne lui veut pas du bien.
On se dit que la monarchie va sauver la Belgique et on fait tout pour
que la Belgique sauve la monarchie. On a perdu le sens des réalités. Si
la nation flamande a déjà revisité son histoire, allant jusqu’à
présenter la révolution belge comme une catastrophe nationale pour la
Flandre, il reste à la Wallonie d’aller chercher dans ses racines ce
dont elle a besoin pour se développer.
La transformation de l’Europe a rendu la Belgique superfétatoire,
inutilement complexe et paralysante. Pour s’en convaincre, il suffit
de voir combien l'Union européenne et la Flandre ont des projets
complémentaires, servis par une classe politique jouant les tout
premiers rôles en Europe. Quand ils ne sont pas ouvertement
séparatistes, les Van Rompuy, De Gucht, Van den Brande et consorts
annoncent l'inéluctable évaporation de la Belgique.
Une prise en compte de la dynamique européenne conduirait, par la
force des choses, à reconsidérer les rapports de la Wallonie avec la
France et permettrait de réfléchir collectivement à la meilleure
façon d’assurer l’avenir du pays wallon, sur le plan culturel,
économique et institutionnel. Le soutien, la solidarité bienveillante
d’un pays comme la France est une opportunité qu’il serait criminel de
rejeter.
Terre romane, en dépit de sa longue immersion dans le monde
germanique, la Wallonie est un pays de frontière. Idéalement située
au cœur de l’Europe, elle a désormais vocation de relier les deux
piliers de la construction européenne, la France et l’Allemagne. A
condition de mettre en valeur son savoir-faire et son infrastructure,
elle peut regarder l’avenir avec confiance.
La mise en valeur de ses atouts passe inévitablement par une
valorisation de son image. C’est une évidence commerciale autant qu’une
réelle nécessité existentielle. Le redéploiement économique ne dépend
pas seulement de la conjoncture internationale. Pour s’épanouir dans
une Europe exposée à tous les vents de la mondialisation, la Wallonie a
besoin de trouver sa place.
Il ne faut pas compter sur la Belgique pour assurer la promotion de
la Wallonie à l’étranger. Sur de nombreuses cartes, notamment
touristiques, la Wallonie est devenue une espèce de terra incognita. Au
mieux un arrière-pays. Longtemps moteur économique de la Belgique, la
Wallonie a été lâchée au moment où son déclin industriel exigeait des
investissements nouveaux. Maintenant, la Flandre, oubliant que son
développement a été financé par de l’argent wallon, fait payer cher le
maintien d’une solidarité qu’elle dénonce à grand bruit.
C’est au nom des priorités socio-économiques que l’on étouffe le débat
sur l’identité wallonne, feignant de ne pas voir que la Belgique a aussi
un coût pour la Wallonie. « Ils nous ont tout pris », écrivait-on
déjà en 1912 (1). Parmi les transferts organisés par la Belgique, il
faut compter ce qui relève de la mémoire et du patrimoine culturel, mais
la Wallonie a également vu partir des capitaux, des emplois, des
marchés. La Flandre a fait main basse sur la Belgique et sur son
économie, avec la complicité de trop de dirigeants wallons. La Wallonie
a finalement perdu ce qui lui restait : l’estime de soi, jusqu’à la
volonté d’exister. La déliquescence de l’Etat belge a paradoxalement
étouffé la conscience wallonne. La Belgique ne survit que par
l’écrasement du sentiment wallon.
Cet abandon, ce manque de vision, facteur de régression sociale :
c’est cela qui justifie l’existence de W+
Le refus d’envisager l’avenir de la Wallonie en dehors du cadre belge
est suicidaire. W+ observe que la Belgique se réduit de plus en plus à
une confrontation malsaine et paralysante avec la Flandre. En
conséquence, il ne veut plus de la Belgique, sous aucune forme que ce
soit.
« Alliance démocratique et pluraliste associant des Wallons de toutes
origines, de la gauche à la droite, des autonomistes et des
rattachistes, animés par le même idéal républicain, W+ prend place dans
l’histoire de la Wallonie dont il entend incarner la volonté
d'émancipation en lui offrant le choix de redéfinir librement sa
relation avec la France comme avec Bruxelles et ses autres voisins. »
(1) Jules DESTRÉE, Lettre au roi sur la séparation de la Wallonie et
de la Flandre
(2) Félix ROUSSEAU, l’auteur de ces lignes, est tenu pour le père de
l’historiographie wallonne.
(3) Michel QUÉVIT, Flandre-Wallonie. Quelle solidarité ?
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